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La vision d'un artiste...

Il est vrai qu'il est difficile de comprendre la démarche d'un relieur qui se découvre tout à coup artiste, le rêve : sortir du lot des relieurs anonymes et faire partie des grands noms de la reliure ! Il est évident que pour y arriver, il est plus simple de choisir la reliure comme moyen d'expression que la peinture, la concurrence y est moins rude.

Il serait souhaitable, d'ailleurs, d'élargir la liste des grands noms de la reliure à ceux qui dans l'ombre font une reliure janséniste de qualité. Car n'oublions pas, nous sommes au départ des artisans, nous découvrons " nos talents artistiques " plus tard, si Dieu le veut ! Force est de constater que dans notre profession, les grands artistes ne sont pas nombreux. Pourtant, tout le monde veut faire du décor et tout de suite, avant même d'avoir réalisé une pleine toile, sans comprendre qu'avant de s'exprimer, il faut connaître d'abord tous les mécanismes du livre et de la reliure.

Certains ont encore en mémoire le débat que j'ai animé au congrès d'AIR neuf, à Chantilly avec, comme thème entre autres : " Sommes-nous des artistes-nés ? " ; ma question était claire : si nous étions de simples artistes, aurions-nous choisi la reliure comme support décoratif? Cette figure imposée qu'offre le livre implique de nombreuses contraintes : le format, une création dirigée par le texte et les illustrations, et pour finir une obligation de protéger l'ensemble.

La création se veut libre, là, elle est forcément orientée. Sans tomber dans une justification systématique, il faut un certain temps pour s'imprégner du texte et des illustrations avant de commencer la phase des recherches décoratives et de réalisation. Il est certain que beaucoup ne s'embarrassent pas de telles considérations et peuvent, sans complexe, répéter le même décor sur deux ou trois livres totalement étrangers les uns des autres. Les dernières ventes publiques de reliures de création le confirment, on peut voir un même décor décliné en bleu, en rouge ou en vert sur des livres totalement différents. Décors, bien souvent, empruntés à l'univers pictural. Face à ce constat, qu'apporte la reliure à la création en général, si elle n'est que le prolongement, sinon la copie, des autres arts plastiques.

Pourquoi ces relieurs ne sont-ils pas restés de bons artisans, au service de vrais créateurs ? Pourquoi une vraie collaboration, où chacun aurait pu s'exprimer, n'existe-t-elle pas ?

Peut-on être artiste du livre, sans être relieur ? Oui, à condition de confier l'ouvrage à d'autres, afin qu'il soit relié et correctement relié, quelle que soit la structure choisie. Aujourd'hui encore, quelques relieurs font sous-traiter la reliure, si ce n'est même l'exécution du décor, se contentant de réaliser la maquette. C'est louable, dans la mesure où tout le monde est reconnu et où chacun a la possibilité d'apposer sa signature sur le livre, au même titre que le créateur. Malheureusement, ce travail d'équipe a un coût, difficilement conciliable avec la loi du marché. Nous sommes obligés de faire tout nous-mêmes, excepté la dorure, qui requiert une autre formation.
La reliure est, par essence, un art appliqué. Avant de s'exprimer sur le livre, il est indispensable d'acquérir de solides bases techniques, une profonde connaissance des matériaux et, ce serait souhaitable, une approche de la restauration et de la conservation. Occulter cette formation indispensable, avant de passer à la création, relève de l'inconscience.

Il faut être un bon artisan, avant de se réclamer artiste. Nous ne sommes pas en face d'une toile blanche, que l'on peut à la fois peindre et repeindre, strier, martyriser quelquefois, et même jeter si le travail ne nous convient pas. L'attitude face au livre doit être complètement différente puisque souvent, nous avons en charge un bien qui nous est confié. Toutes les opérations qui précèdent la création sont importantes, je dirai même déterminantes. Nous n'avons pas le droit à l'erreur. Ce long processus est semé d'une multitude d'obstacles, que seul un relieur pourvu d'une bonne formation pourra franchir.

Chaque étape est importante, la première, regroupant le collectionnage et la plaçure, est déterminante pour la sauvegarde, dans les meilleures conditions, de l'ouvrage. L'intervention sur le livre doit être minime, respecter les marges, éviter les ébarbages excessifs ou pire encore le massicotage. Il est vrai que nous sommes confrontés à des difficultés techniques notamment pour certains ouvrages de gravures. Les illustrateurs, les éditeurs, ne manquent pas d'imagination : triptyque, gravures sans marge qu'il faut monter, relief, collage excessif qu'il faut protéger, sans parler de la nature du papier. Chacun est, ou a été, confronté à ces divers cas de figure. Il nous faut donc jongler, et trouver à chaque difficulté la réponse la mieux adaptée. Cela fait partie aussi du travail de recherche.

Un livre, je n'apprendrai rien à personne, enfin je l'espère, est fait pour être lu. Et pour être lu, il doit bien s'ouvrir. Tout livre, une fois relié, qui s'ouvre mal, ou pas du tout, et ce n'est pas rare, est un livre perdu. Souvent, les clients potentiels ne font pas relier leurs livres, car une fois la reliure terminée, ils ont peur de ne plus retrouver ce confort de lecture qu'offre un livre broché. Il faut les rassurer, cette peur n'est plus justifiée. Aujourd'hui, diverses solutions s'offrent au relieur pour une bonne ouverture du livre :

  • L'habitude française a le mérite d'être claire. Elle propose, une fois les fonds de cahiers sectionnés, si besoin est, de monter chaque page sur un large onglet replié ; l'épaisseur du papier détermine bien souvent ce choix. L'ouverture sera totale, mais on peut reprocher à ce système dans certains cas de ne pas respecter la conception de l'édition. Ce montage permet de réaliser un corps d'ouvrage solide. Le collage des goudrons sur le dos peut être illimité sans altérer la bonne ouverture du livre. Ce dos solide facilite aussi le travail du doreur pour le titrage. On optera pour cette solution dans le cas d'un plein cuir classique comme par exemple : le plein box.
     

  • Une deuxième solution pour une bonne ouverture : la couture sur nerfs. La couture d'un livre, après un montage classique de l'ouvrage, se fait autour d'un septain ou d'une lanière de cuir. Cette couture, ainsi que le collage de goudrons de peau sur le dos, facilite l'ouverture du livre.
     

  • La troisième voie, très en vogue, ne se trouve pas dans le montage du livre lui-même, mais dans le choix d'une structure spécifique qui permettra une bonne ouverture de l'ouvrage.

Le point commun de toutes ces nouvelles structures, et je le soulignais dans ma classification, c'est l'absence d'endossure. Dépourvu de mors, le livre dont le dos est contrecollé de goudrons cuir ne subit aucune tension.

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